Cette série d’articles ne prévoit pas de donner des éléments très précis sur les auteurs et les thèmes abordés mais plutôt de rendre compte d’une réflexion collective, d’apporter des questionnements personnels ou encore d’enrichir le débat d’expériences vécues.
Retour presque 3 ans en arrière, le jour où j’ai découvert John Holt. C’était lorsque nous avions organisé, au sein du groupe de personnes motivées par le projet, un échange de « lectures marquantes » en lien avec l’éducation alternative. Nous nous étions retrouvés à une petite dizaine alors que nous avions organisé l’évènement pour recevoir une trentaine de personnes… Mais cela nous a permis de véritablement échanger sur nos lectures respectives, d’en débattre et de se rencontrer de façon plus riche. Aude est donc arrivée avec un extrait de John Holt, enseignant qui a cessé de vouloir réformer le système éducatif de l’intérieur et qui a entrepris de nourrir de véritables alternatives à l’école.
« Comme nous ne savons pas encore de quelles connaissances nous aurons besoin dans le futur […] nous devrions essayer de former des personnes qui aiment tellement apprendre et le font tellement bien qu’elles seront capables d’apprendre tout ce qu’il sera nécessaire de savoir. »
John Holt
John Caldwell Holt (1923 –1985) est en première intention, un éducateur au sein du système scolaire américain. Mais empreint d’une vision avant-gardiste sur l’enfance, il ne peut se soumettre à l’idée de contraindre l’enfant dans ses apprentissages. D’autant plus qu’il observe rapidement que les contenus d’apprentissage ne sont pas en adéquation avec les besoins des enfants, du moins en terme de temporalité [les enfants ne sont pas intéressés par ce qu’on leur propose au moment où on le leur propose]. Il écrit alors de nombreux ouvrages pour défendre la cause des enfants, aider les adultes à comprendre leurs façons d’apprendre, et prend pleinement part à l’émergence du Unschooling.
Le Unschooling est une pratique qui s’oppose à la scolarisation et dont la traduction française pourrait être « apprentissages menés par l’enfant » ou encore « éducation menée par l’enfant » selon la radicalité avec laquelle on applique ses principes. Ainsi, le unschooling est pratiqué en dehors de l’école, les enfants ne sont pas scolarisés dans un établissement et ne reçoivent pas non plus d’enseignement programmé à l’avance par l’adulte. Vous l’aurez compris, l’école démocratique c’est en quelque sorte une « maison d’enfants unschoolers », un lieu où l’adulte accompagne l’enfant en fonction de ses élans naturels. Ainsi, John Holt note que les enfants vont naturellement vers la lecture, l’écriture et les mathématiques et que lorsque l’adulte est présent pour accompagner ces découvertes, au moment où elles sont sollicitées par l’enfant, les apprentissages sont très rapides. A titre d’exemple, il relate que l’apprentissage de la lecture de façon volontaire prend environ 30 jours, aussi bien pour de jeunes enfants que pour des adultes analphabètes. Ce constat est aujourd’hui largement partagé par de nombreux parents qui ont décidé d’instruire leur enfant en famille et qui optent pour le unschooling.
« L’apprentissage est un processus de découverte, et si nous voulons qu’il se fasse, nous devons créer les conditions favorables. Nous savons ce que sont ces conditions : elles comprennent le temps, le plaisir, la liberté et l’absence de pression. »
John Holt
Là réside tout le fondement de l’action de John Holt : libérez les enfants de la pression éducative et ils apprendront bien plus, bien mieux1 et plus durablement. La difficulté réside dans le lâcher-prise auquel peu d’entre nous sont habitués, car il faut, à priori, accepter de perdre le contrôle sur ce qu’apprend l’enfant. Mais croire qu’à un moment donné nous avons ce contrôle est en fait illusoire. Nous pouvons avoir une emprise sur ce que nous choisissons d’enseigner ou non, nous ne pouvons avoir aucune prise sur ce que l’enfant apprend, nous ne pouvons pas le décider pour lui. Cette différence entre ces deux processus est bien visible dans une classe : je peux choisir d’enseigner la numération jusqu’à 5, cela n’équivaut pas à ce que tous mes élèves sachent compter jusqu’à 5. Par contre, si je laisse le temps, le plaisir et la liberté en l’absence de pression, je peux être sûre que mes élèves apprendront à compter jusqu’à 5 sans même le leur avoir enseigné.
Un des quiproquo courant lié à l’utilisation de l’expression « apprentissages autonomes » [traduction choisie pour l’ouvrage de John Holt « Learning all the time » ] est qu’elle laisse à penser que les enfants apprennent tout seuls2, en dehors de toute présence humaine, ce qui fait hérisser les poils aux fervents défenseurs de l’ « enseignement ». Or bien sûr, nous sommes tous d’accord pour dire que l’enfant n’apprend pas toujours tout seul dans son coin. Cependant, l’observation réelle d’enfants jouant librement, nous amène à constater qu’ils apprennent souvent tout seul dans le sens où il n’y a personne qui leur précise ce qu’ils doivent apprendre de telle ou telle situation. La majeure partie du temps, l’enfant, en particulier le jeune enfant, apprend de manière inconsciente, à partir du monde qui l’entoure, en l’absorbant3. Plus tard, l’enfant est capable de diriger ses apprentissages de manière consciente : « J’aimerai savoir compter comme ma copine », « Je me demande pourquoi on ne voit plus le soleil la nuit » ou encore « Si je veux être architecte, je dois apprendre à dessiner des plans », à nous adultes d’être présents et disponibles pour accompagner ces « processus de découvertes ».
Je finirai cet article en citant le passage qui nous avait été lu à cette fameuse soirée de lectures partagée, ce passage qui a suscité ma curiosité alors que je découvrais à peine les écoles démocratiques :
Nous pouvons aussi aider les enfants en répondant à leurs questions. Toutefois, nous, les adultes, devons faire attention sur ce point car nous avons tendance, quand un enfant nous pose une question, à en faire trop. « Ah, ah !, pensons-nous, voilà une occasion de lui apprendre quelque chose », et on se retrouve en train de prononcer un discours d’un quart d’heure en guise de réponse. […] J’ai entendu une histoire à propos d’un enfant qui a posé un jour une question à sa mère. La mère était occupée ou distraite, ou peut-être qu’elle pensait ne pas en savoir assez pour répondre, et elle lui a dit: « Pourquoi ne demandes-tu pas à ton père? » L’enfant a répondu « Eh bien, c’est que je ne veux pas en savoir autant que ça. » Si les enfants en veulent plus, ils en demanderont plus. […] Non seulement la leçon non sollicitée ne conduit pas à un apprentissage, mais pour l’essentiel, un tel enseignement empêche l’apprentissage. Et ça, c’est une vrai catastrophe. 90 % du temps, d’un enseignement qui n’a pas été sollicité ne résultera pas un apprentissage, mais en découlera au contraire, un obstacle à l’apprentissage. »
JohnHolt dans « Les apprentissages autonomes », p15 et 16
Par son expérience et ses nombreuses observations, John Holt nous propose dans ses ouvrages, de venir à la rencontre des enfants, de comprendre comment ils apprennent et comment les accompagner au mieux, en sortant de nos pré-supposés. A ce titre tout enseignant devrait pouvoir avoir accès à ces informations afin de pouvoir soutenir ses élèves dans leurs apprentissages. Pour tout parent voulant pratiquer l’instruction à la maison, il est une aide précieuse à sa mise en œuvre avec de nombreux exemples de situations applicables facilement.
1- Alison Gopnik dans son livre « anti-manuel d’éducation, l’enfance révélée par les sciences » apporte un éclairage très intéressant sur la richesse des découvertes et apprentissages menés de façon autonome par le tout-petit versus l’enseignement par l’adulte.
2- Thierry Pardo et Bernard Collot ont à ce sujet une correspondance enrichissante dans l’ouvrage « Entre autres… Les chemins des adultes pour libérer les enfants. »
3- Se référer à Maria Montessori pour plus d’informations sur l’esprit absorbant.
Sur le unschooling :